Deux ans après le début de la pandémie, 84% des dirigeants souhaitent déployer une organisation hybride en France. Or, face au télétravail, cols blancs et cols bleus ne sont pas tout à fait égaux. Quand l’une des catégories de travailleurs peut se permettre de travailler “en remote” plusieurs fois par semaine, voire tous les jours, l’autre est contrainte au présentiel. Cette nouvelle forme d’organisation est en passe de devenir plus qu’une réponse temporaire aux restrictions liées à la Covid. Ce fonctionnement va vraisemblablement durer, et faire persister un sentiment d’injustice latent pour les cols bleus... Charge aux employeurs de compenser ces inégalités tout en déployant un nouveau management pour leurs salariés en distanciel. Comment ? Nos éléments de réponses point par point.
Covid-19 : un contexte (de travail) exceptionnel
Confinement, gestes barrières, distanciation sociale… Ces termes ont influencé notre vie depuis mars 2020 et sont à l’origine de nouveaux comportements sociaux et économiques. Les conséquences de la pandémie de Covid-19 sont omniprésentes au sein des entreprises :
- adaptation aux nouvelles attentes des consommateurs (achats en ligne, livraison, etc.) ;
- protocoles sanitaires renforcés ;
- augmentation de l’absentéisme ponctuel ;
- difficultés de recrutement ;
- recours au télétravail et aux technologies numériques.
Bienvenue dans le monde post-crise sanitaire : un univers où le travail hybride s’impose maintenant comme la norme pour beaucoup d’entreprises.
« Nous assistons à un sacré changement culturel. »
Anne-Sophie Godon-Resonnet, Directrice des Services chez Malakoff Humanis
Aujourd’hui, la collaboration à distance n’est plus une exception réservée à des profils mobiles. Les entreprises doivent aller plus loin dans leur stratégie de télétravail, car un retour en arrière complet ne semble pas possible. Près de la moitié des salariés affichent ainsi leur volonté de travailler en mode hybride, avec la combinaison du travail au bureau et à distance. La principale raison à cela est la revendication d’une meilleure articulation entre vie professionnelle et vie de famille. Résultats selon le baromètre Télétravail et Organisations hybrides 2022 de Malakoff Humanis :
- 82% des salariés éligibles au travail hybride souhaitent adopter ce mode de fonctionnement;
- 89% des entreprises envisagent le télétravail comme mode d’organisation durable ;
- Un télétravailleur sur deux a une nouvelle ligne propre au télétravail dans son contrat alors qu’ils n’étaient qu’un sur quatre avant la crise de la Covid.
Et cette propension au distanciel ne touche pas seulement la manière de travailler. Le recrutement à distance a aussi connu une croissance spectaculaire. La digitalisation de la formation a également été multipliée par 2 en 1 an.
Quels salariés sont concernés ?
Sur le plan théorique, toutes les catégories professionnelles sont éligibles au télétravail. Mais la décision appartient aux dirigeants. Il peut aussi y avoir un accord de branche ou d’entreprise pour déterminer les types de postes « télétravaillables ».
La DARES relève que les télétravailleurs sont majoritairement des cadres (61 %) et sont relativement plus nombreux dans les métiers de l’informatique et de la télécommunication. Toutefois, le recours au télétravail n’est pas possible pour tous, ni partout. Sa mise en œuvre est conditionnée par le cycle de production et le type de techniques employées. L’artisanat ne s’y prête guère, bien évidemment !
Côté cols blancs
Les collaborateurs travaillant régulièrement à distance sont plutôt des salariés qualifiés :
- 60,6% sont cadres alors qu’ils ne représentent que 16,9 % des salariés.
- 11,1% des cadres et 3,2% des professions intermédiaires confient pratiquer le télétravail au moins un jour par semaine.
Cependant, pour les cols blancs, le travail à distance ne peut généralement concerner que les personnels administratifs. Les chefs d’ateliers, d’usine ou de production, sont souvent contraints de rester sur site pour superviser leurs équipes opérationnelles.
Côté cols bleus
Le travail hybride est possible pour 85% des cadres et des professions intellectuelles, alors que ce pourcentage tombe à 48% pour les employés qualifiés et à zéro pour les ouvriers qualifiés ou non. Il y a une réalité : de nombreux métiers ne peuvent s’exercer qu’en présentiel. Toutefois, dans certains postes de type SAV, ou d’accueil téléphonique par exemple, cette souplesse reste accessible aux cols bleus.
Certains employeurs peuvent même décider d’accorder le télétravail à des catégories de personnels spécifiées :
- les seniors ;
- les personnes en situation de handicap ;
- les salariés en mi-temps thérapeutique…
Mais cette pratique reste marginale chez les cols bleus (1,4%). Le risque d’avoir un salariat à deux vitesses avec la généralisation du télétravail est donc bien présent.
Un sentiment d’injustice au sein de l’entreprise
Une récente étude, commandée par le ministère du Travail, démontre que 39% des actifs en emploi ne peuvent pas exercer leur activité en distanciel. Caissières, livreurs, chauffeurs, ces personnes nourrissent un sentiment d’injustice.
« Il y a un risque de tensions entre cols blancs et cols bleus, les managers doivent trouver des moyens de garantir le collectif. »
Audrey Richard, DRH
Ces inégalités peuvent apparaître aussi entre catégories de télétravailleurs :
- Ceux jouissant de conditions de télétravail confortables(espaces dédiés au sein de leur domicile par exemple) ;
- Et ceux dont l’environnement de travail est contraint, parla présence d’enfants, par le manque de place ou de confort.
Participation aux frais d’Internet, de téléphonie et de restauration, aménagement du poste à la maison… La loi ne dit rien sur le montant du forfait « télétravail ». Depuis le début de la crise, 700 accords ont été négociés dans les grandes entreprises du secteur tertiaire et du CAC40. Ailleurs, le télétravail s’organise aléatoirement, en fonction du bon vouloir du manager et sans mesure de compensation.
Les solutions pour remédier à l’inégalité entre cols blancs et cols bleus face à la digitalisation du travail
Face à ces injustices, les entreprises doivent réfléchir à comment élargir cette souplesse au plus grand nombre. Ou alors, il faudra imaginer d’autres avantages. S’ils ne sont pas pécuniaires, ils peuvent être orientés « qualité de vie au travail ».
Aménager l’espace de travail
Dans un premier temps, il est nécessaire d’équiper les salariés en équipements mobiles (téléphones portables, ordinateurs mobiles, etc.). En 2013, moins de 5 % des ouvriers étaient équipés d’outils numériques permettant de télétravailler, contre 52 % descadres2. Aujourd’hui, presque 50 % des entreprises envisagent de participer à l’équipement de matériels bureautiques et 64 % sont prêtes à verser une indemnité « télétravail » comprise entre 100 et200 euros11.
Il est aussi possible de réinjecter les économies réalisées sur les mètres carrés libérés dans l’amélioration des ateliers, des sites de production et autres lieux de vie des cols bleus.
Se familiariser avec les outils collaboratifs digitaux
Le fort écart du recours au télétravail entre salariés est par ailleurs lié à une faible initiation aux outils numériques pour une catégorie du personnel. Afin que tous les télétravailleurs disposent des conditions de travail égales, une seule solution : former les employés aux outils digitaux. Cela pourrait éviter une sorte de « fracture numérique », mais surtout de débloquer certains freins à l’hybridation du travail précédemment évoqués :
- savoir organiser sa communication numérique et mieux relier les collaborateurs ;
- prévenir les failles de sécurité vis-à-vis des données de l’entreprise ;
- être capable de déclarer ses heures de présence ou sa productivité facilement…
Pour pallier l’absence de cadre physique, les entreprises doivent emprunter un virage numérique. Pour réussir cette transition, un accompagnement auprès de l’ensemble du personnel reste nécessaire.
Un management repensé
Les managers doivent aussi être accompagnés par la formation pour savoir répondre aux enjeux de cette nouvelle organisation du travail. Dans de telles circonstances, ils ne peuvent plus se baser uniquement sur le travail fourni pendant des horaires standardisés. Si l’on souhaite offrir davantage de liberté à des postes aux spécificités différentes, une seule solution : basculer sur un management par le résultat. Ainsi, le collaborateur aura le loisir de s’organiser en fonction de ses contraintes personnelles pour atteindre l’objectif fixé.
Harmoniser les évolutions de carrières au sein des entreprises
Une autre angoisse divise les collaborateurs entre eux : le risque que la hiérarchie favorise l’évolution des salariés qu’ils verront le plus, donc ceux qui télétravailleront le moins.
« Cela suppose d’offrir le même suivi personnalisé en présentiel qu’en distanciel. »
Juliette Massart.
Les cadres managers devront donc définir les mêmes règles du jeu à leurs équipes. Pour cela, ils devront mettre en place :
- Des sondages réguliers sur les envies des salariés en télétravail ;
- Du coaching à distance ;
- Des procédures d’évaluation équitables.
Limiter les jours de télétravail pour les salariés concernés
Pour que le travail à distance ne soit pas source d’injustices, charge à l'entreprise de proposer des réponses adaptées et non imposées à l’ensemble du personnel. 56% des entreprises optent pour 2 jours par semaine de télétravail. Or, pour ouvrir ce droit à davantage de profils, on peut envisager un cadrage individualisé par service ou par personne. Par exemple, un manager décidera d’allouer une enveloppe de journées en télétravail par mois ou par année à la disposition des salariés.
S’il est important d’encadrer globalement les règles du télétravail, il est aussi nécessaire de prendre en considération les aspirations de chaque salarié.
Les avantages du télétravail pourraient le rendre incontournable à l’avenir ! Un challenge inédit qui poussera les entreprises à évoluer. Elles devront revoir leur management, se familiariser avec l’expansion des outils digitaux. Ces changements contribueront aussi à leur agilité, leur attractivité et leurs performances.