Bien que les accidents du travail soient en baisse depuis plus de 10 ans dans le BTP, ce secteur reste l’un des plus « accidentogènes ». Malgré les politiques de prévention mises en place par les grands groupes, la plupart des accidents graves sur les chantiers sont déclenchés par des fautes comportementales. Comment réduire ces erreurs humaines ? Quelles bonnes pratiques favoriser pour la sécurité des équipes opérationnelles ?
Accidents du travail : en progrès, mais peut mieux faire
Les accidents du travail dans le secteur du BTP connaissent une baisse continue depuis une dizaine d’années. En 2015, cette baisse était de 5,2% par rapport à 2014 selon les derniers résultats de la sinistralité dans le BTP dévoilés en novembre par la branche AT-MP de l’Assurance maladie-risques professionnels. (91 783 accidents du travail contre 94 838). Le BTP a également enregistré une baisse de 5% des accidents mortels (130 décès en 2015). Autre enseignement, les causes à l’origine des accidents du travail les plus fréquentes restent les manutentions manuelles (52%) et les chutes (32%).
Ces indicateurs au vert ne doivent pas inciter à relâcher l’effort de prévention, le BTP demeurant le secteur présentant le plus haut niveau de dangerosité.
De leur côté, les maladies professionnelles ne doivent pas être oubliées dans les politiques de prévention et de sécurité. D’après l’étude déjà citée, les principales maladies sont toujours les affections périarticulaires (localisées dans les zones voisines des articulations, 74%), suivies des affections du rachis lombaire dues à la manutention de charges lourdes (10%). Tout cela a un coût : en 2015, les maladies professionnelles ont été à l’origine de 1,5 million de journées perdues, soit une hausse de 4,8%. Un chiffre peut-être sous-évalué, si l’on se souvient que certains grands groupes du BTP ont été épinglés ces 5 dernières années pour sous-déclaration d’accidents.
Le facteur humain, cause principale des accidents du travail dans le BTP
Selon des responsables de la sécurité et de la prévention réunis à Paris en 2016 par Artelia, spécialiste en ingénierie et management de projets, « 95% des accidents » sur des chantiers seraient « causés par des erreurs comportementales et organisationnelles, alors que seuls 5% trouvent leur origine dans un matériel défectueux ou inapproprié ».
Il existe de nombreux facteurs susceptibles d’augmenter ces erreurs humaines. Attachons-nous à deux d’entre eux :
Certains acteurs sont peu formés à la prévention des risques
Dans le secteur du BTP, de nombreux groupes font appel à des sous-traitants pour assurer certaines phases des chantiers. D’après les chiffres de l'observatoire national 2014 des formations à la prévention, les artisans du secteur ont privilégié, en 2014, les formations à la technique plutôt qu'à la prévention des risques professionnels. Concrètement, ils ne se forment pas pour se protéger des risques qui pèsent sur leur santé, comme les TMS (troubles musculo-squelettiques), mais en fonction de l'évolution réglementaire.
Le BTP reste confronté au travail dissimulé
Bien que les grands groupes de BTP soient majoritairement très rigoureux dans ce domaine, des affaires de travail dissimulé surviennent encore régulièrement. En janvier 2017, le chantier de rénovation du métro à Châtelet-Les-Halles employait ainsi une trentaine d'ouvriers non payés depuis deux à huit mois, dont cinq étaient sans papiers. L’inspection du travail vient d’achever une enquête sur une affaire similaire, la démolition de l'ex-siège parisien de Michelin, pour laquelle étaient employés 25 travailleurs maliens sans papiers via un sous-traitant. Dans ces conditions, on peut présumer que leur formation à la sécurité est pour le moins aléatoire.
De bonnes pratiques à promouvoir
Les bonnes pratiques en matière de sécurité et de prévention dans le BTP font l’objet de publications régulières, comme le livre blanc édité en 2013 chez Tissot (téléchargeable ici). Trois nouvelles pratiques sont apparues récemment. Si les deux premières font l’unanimité, la troisième est l’objet de polémiques :
La « minute sécurité »
Plusieurs grands groupes ont désormais adopté le principe d’une mini-réunion périodique, baptisé selon les firmes « la minute chantiers » ou « le quart d’heure sécurité ». Il s’agit d’un briefing sur les consignes à observer pour les opérations programmées. Directeur prévention santé et sécurité de Bouygues Construction, Philippe Villain a instauré cette pratique chaque jour à 10h55 : « la corne de brume sonne, les équipes s’interrompent et observent ce qui à l’instant T pourrait favoriser un accident », explique-t-il. Ceci permet de repérer un mauvais balisage, des distances de sécurité non respectées, des équipements mal positionnés, etc.
Le détachement intra-groupe, garantie d’une formation de tous les personnels d’un chantier aux mêmes standards de sécurité
Depuis peu, de nouveaux outils permettent à un groupe donné d’optimiser l’affectation du personnel en fonction des pics ou baisses d’activité sur tel ou tel de ses sites. Pour l’employeur, c’est la garantie que ne seront détachés, sur ses chantiers nécessitant un surcroit de main d’œuvre, que des salariés formés aux standards du groupe ; en termes d’expertise, mais aussi de prévention contre les accidents.
La « clause Molière » en question
Mesure populiste pour certains, outil de lutte contre le dumping social pour d’autres, l'obligation de parler français sur les chantiers a surgi dans le débat politique peu avant les élections présidentielles. "Pour nous, c'est une bonne chose", expliquait en mars à France 24 Jacques Chanut, président de la Fédération française du bâtiment qui représente les deux tiers des entreprises du secteur en France : « si on ne comprend pas les consignes de sécurité, on se met en danger et on met en danger les autres ».
Le sujet est sensible à plus d’un titre, sachant qu’en 2015 près de 62 000 travailleurs détachés en provenance de Pologne, du Portugal, d'Espagne ou de Roumanie ont travaillé sur des chantiers français (un travail détaché qui n’a, rappelons-le, rien à voir avec le détachement intra-groupe). Le fait est, en tout cas, que les équipe opérationnelles sur les chantiers ne peuvent être traitées comme des « gros bras » qui n’auraient pas à réfléchir : les normes à respecter, l’utilisation sans risque des équipements, imposent de pouvoir communiquer clairement et rapidement avec le reste de l'équipe.
La question de l’obligation de parler français sur les chantiers devrait donc encore susciter le débat dans les mois à venir. Elle ne doit pas être traitée isolément, mais à travers une approche globale et responsable de la prévention des risques dans le secteur. La sécurité des équipes opérationnelles dans le BTP est, en effet, un sujet trop sérieux pour être récupéré à des fins politiciennes.