Le 19 mai dernier, Andjaro a eu le plaisir d’organiser un webinar autour de l’expérience client et son impact sur le staffing des équipes. Stéphane Voyer, Senior VP HR de LVMH Japon était notre invité pour partager son expérience et expliquer ce qu’est l’art de l’omotenashi appliqué au secteur du retail.
Pourquoi les Japonais aiment-ils se rendre en boutique ?
L’organisation d’un magasin en France et au Japon n’a rien en commun. Chez la première, les boutiques de luxe peuvent être ressenties comme intimidantes. Chez le second, elles peuvent se situer dans une galerie commerciale d'une gare, avec les portes grandes ouvertes. Au pays du Soleil levant, il n'y a pas d'obstacles inutiles dans l’expérience client. Et les possibles préjugés ne sont pas exprimés.
En France, la culture de la débrouille et du non-remplacement des postes vacants se transforme en piège. Résultat, les clients sont invités à réaliser leurs achats en ligne quand le vendeur du rayon est absent. De fait, ils désertent les boutiques. Le Japon connaît une tout autre ambiance. Bien qu’ultra connectés, 54,2% des jeunes continuent de privilégier l'achat en magasin. Quant aux seniors, ils se mettent à acheter en ligne : 20% d'entre eux consomment régulièrement l’e-commerce.
Omotenashi révolutionne l'omnicanal
La différence entre la France et le Japon porte sur l’expérience proposée au client. Sur les îles nippones, l’excellence du service client est culturelle : l’omotenashi. Ce mot vient de la cérémonie du thé, qui ne consiste pas juste à mettre un sachet de thé dans une tasse d'eau chaude, mais à créer le désir de boire un thé à la japonaise. Ainsi, on peut traduire ce terme japonais par cette formule : faire de son mieux pour montrer le plus grand respect à l'autre. Résultat : le shopping est le sport national chez les Japonais.
Aujourd’hui, les magasins japonais sont passés maîtres dans l’utilisation de l’omnicanal. Ils ont su proposer un subtil assemblage qui rend l’expérience d’un client unique, qu’importe sa tranche d’âge. L’expérience en ligne ne se limite pas à un achat depuis chez soi, mais s'opère aussi dans les boutiques. Par exemple, des applications permettent d’essayer un vêtement sans l’enfiler, ce qui évite d'aller dans la cabine d'essayage. De même, la boutique ne se présente pas seulement comme un lieu où l’on se rend pour acheter une tunique. Il s’agit d’un concept store qui propose bien plus de choses : un café, un restaurant, une atmosphère différente selon la porte d’entrée choisie… Chaque visite est une expérience où l’achat n’est pas une obligation.
Des collaborateurs rompus à l'expérience client
Pour en arriver là, les acteurs du retail nippon ont tout imaginé à partir du client. La démarche n’a rien à voir avec le concept de client roi, mais juste de partir du point de vue de la personne. Et cela n’a pas été d’une grande difficulté pour eux. La société nipponne est organisée autour de la notion du respect d’aller au bout du meilleur service qu’il est possible d’apporter. Dans un restaurant, vous allez pouvoir bénéficier d'un petit bac au pied de la chaise pour déposer vos affaires. Si vous vous promenez dans un parc et que le gazon fait l’objet d’une tonte, outre la présence d’une bâche de protection, lorsque vous passerez à proximité du jardinier, celui-ci cessera son travail au coup de sifflet d’une autre personne. Il reprendra sa tâche après un second coup de sifflet.
Cette approche quasi holistique impacte les modalités de formation et de recrutement. Au Japon, un collaborateur montre du respect au client parce qu’il le considère, et son expérience lui importe. Cela s’apprend à travers des mises en situation dans des Training Center. Mais aussi par la transmission des savoirs d’une sorte de référent bienveillant. Chaque nouveau collaborateur dispose de son référent attitré. Ce dernier va étudier la façon dont son service va être rendu, puis lui donner du feed-back et montrer les bonnes façons de faire. Et il y a aussi, le client mystère. La pratique s'opère partout dans le monde, mais elle est récurrente au Japon.
L’omotenashi se retrouve dans la politique et les pratiques RH des entreprises nipponnes. La rémunération variable est majoritaire, définie sur la base des performances collectives et en particulier la réputation de la boutique et les évaluations des clients mystères. Mais il est une particularité tout à fait inspirante : le recrutement au Japon se fait une fois par an. Au 1er avril, des promotions entières de nouveaux collaborateurs, quels que soient leurs niveaux d'études, entrent au même moment dans les entreprises. Bien sûr, des recrutements peuvent survenir à d'autres moments de l’année, mais c’est par défaut. Car ce rituel développe le sentiment de promotion, le sentiment collectif : commencer ensemble et construire ensemble notre employabilité.